samedi 24 août 2019

Fidèle


Mon nom est Fidèle. Quand je me reporte à mon enfance, je me rappelle que l'école et l'étude n'étaient pas ma tasse de thé. En revanche mes fonctions d'enfant de chœur, c'est à dire d'assistant du prêtre à l'église, m'apportaient beaucoup de satisfaction. Le maniement de l'encensoir en particulier m'enchantait par-dessus tout. Il faut ici que je donne une explication nécessaire à la compréhension de l'histoire.

L'encensoir ressemble à une bonbonnière qui s'ouvre par un jeu délicat de chaînettes. La partie haute celle qui se soulève, est percée en plusieurs points pour laisser passer la fumée odorante de l'encens.

Un peu avant la cérémonie appelée « salut au Saint Sacrement », un petit charbon spécial, préalablement rougi d'un côté à la flamme d'une bougie, est placé dans l'encensoir. Pendant le Salut, quand le prêtre le demande, l'enfant de chœur lui présente l'encensoir ouvert. Alors l'officiant dépose sur le charbon ardent de la poudre d'encens dont la fumée honorera le Saint Sacrement exposé sur l'autel...

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Et maintenant place à l'histoire...Je vais essayer d'évoquer pour vous comment se déroulait la procession de la Fête-Dieu, c'est à dire la fête du Saint-Sacrement.

A cette occasion, tous les enfants de chœur étaient mobilisés : les uns porteurs d'encensoirs qu'ils balançaient harmonieusement, les autres tenant dans leurs mains, une corbeille remplie de pétales de roses qu'ils répandaient sur le sol tout le long du chemin. Suivaient les prêtres et ensuite l'officiant porteur du Saint-Sacrement abrité sous un dais.

Cette fois-là je faisais partie des thuriféraires. Un petit charbon incandescent avait été placé dans chacun des encensoirs. En marchant je m'aperçus que le haut du mien était soulevé et ne se fermait pas. Pour remédier à cela, je secouai un peu les chaînes, mais dans ce mouvement, le petit charbon sortit et tomba à terre !... Je ne pouvais quitter mon rang pour le ramasser et imaginais avec horreur ce qui allait arriver...La procession se dirigeait vers un terrain herbeux où des reposoirs – c'est à dire des autels de fortune abondamment couverts de nappes blanches et de fleurs – étaient érigés de proche en proche. A chacun de ces reposoirs, la procession allait s'arrêter pour un salut au Saint-Sacrement. Alors, tous les encensoirs seraient présentés ouverts au prêtre pour y recevoir l'encens et un seul, le mien, serait vide de charbon incandescent. Je ne manquerais pas d'être jugé sévèrement.

Et ce qui devait arriver arriva : quand l'officiant vint à moi avec sa petite cuillère pour déposer l'encens dans mon encensoir, je vis ses sourcils se soulever et s'abaisser en une mimique de surprise et d'inquiétude. Et, pour mon grand dam, la scène se renouvela cinq fois.




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Le temps passa, mais loin de s'effacer, le souvenir de ma mésaventure resta gravé dans ma mémoire et devint une véritable obsession doublée d'un complexe de culpabilité.

Une nuit, je fis un cauchemar : je me trouvai dans une église sombre et lugubre, non loin de la chaire du haut de laquelle un prêtre faisait un prêche. Il avait pris la foi pour thème de son sermon.
- Mes frères, disait-il, gardez-vous de perdre la foi, ce feu qui chauffe et illumine votre âme ; sinon que vous restera-t-il ? N'est-il pas écrit dans l’Évangile : « si le sel s'affadit, avec quoi salera-t-on ? » Et moi je vous dis : si le soleil s'obscurcit, comment le réchauffera-t-on ? Et si l'encensoir perd son feu intérieur, comment encensera-t-on le Saint Sacrement ?

A ces derniers mots, je rentrai ma tête dans les épaules ; le rouge de la honte envahit mon front ; tous les regards de l'assistance semblaient braqués sur moi.Mais ce rêve me fit comprendre que la perte de mon petit charbon symbolisait et illustrait mon manque de foi . Et je sus intuitivement que la première chose à faire pour réchauffer une foi défaillante était de retrouver le petit charbon . Mais comment y parvenir ?...


Je passai toute la matinée à chercher des solutions à ce problème. L'après-midi, je quittai la maison pour me changer les idées. Dehors régnait une grande tempête, le vent faisait tourbillonner tout ce qui traînait à terre. Un coup plus violent de l'aquilon souleva ma pèlerine et m'emporta très haut et très loin dans les airs. Combien de temps dura mon vol dans les nuages ? Je ne saurais le dire mais j'atterris enfin dans une clairière, entourée d'arbres étranges, tout couverts de grosses fleurs rouges à trois pétales. Mais ô surprise ! En m'approchant je vis que chacune de ces fleurs portait en son centre un petit charbon d'encensoir !....

Celui que j'ai perdu lors de la procession, me dis-je, se trouve dans une de ces fleurs mais sur quel arbre est-il perché ? Ils se ressemblent tous.... Après de longues recherches, je découvre sur un tronc une lettre gravée sans doute au couteau par un enfant : la lettre F. Mais oui, c'est évident ! F comme foi ou comme Fidèle. Aussitôt tel un singe, je grimpe et me lance à la conquête de l'arbre. Toutes ses fleurs rouges se ressemblent et répandent une odeur d'encens . Laquelle faut-il cueillir ?

Tout à ma perplexité, je n'avais pas vu un petit écureuil qui faisait de l'acrobatie sur les branches de l'arbre. Mais son raffut attira mon attention. Les écureuils ne mangent pas les morceaux de charbon, fussent-ils ecclésiastiques, mais ils ne manquent pas de curiosité. Mon petit rongeur flairait ces pseudo- boutons à l'intérieur des trois pétales rouges. L'un de ceux-ci lui procura des éternuements. Intrigué, je le décollai de sa fleur et me mis à flairer à mon tour : il sentait le brûlé... quoiqu'il fût intact, il avait connu l'épreuve du feu ! Mon cœur se mit à battre à tout rompre : j'avais enfin trouvé ce que je cherchais !

Le petit charbon en poche, je redescendis de l'arbre et le vent de la tempête me ramena par la voie des airs à mon point de départ, près de ma maison.
Maman sur le pas de la porte fronça les sourcils en me voyant arriver :

* D'où viens-tu par un temps pareil et avec cet air béat ? Voyons, quand cesseras-tu de rêver ? Quand redescendras-tu sur terre ?

* C'est ce que je viens de faire, répondis-je en éclatant de rire.

Mais elle ne comprit pas ce que je voulais dire.
Toutefois, je n'allais pas exaucer ma mère sur le chapitre des rêves et, dût son amour en souffrir, il me fallait absolument sacrifier à la magie. La cabane du jardin et tous ses sortilèges m'attendaient. Dans ce cagibi, on trouvait presque toujours ce que l'on cherchait. En effet, en me salissant, et en respirant la poussière, je découvris une vieille soucoupe tout ébréchée, une bougie et ô bonheur une boîte d'allumettes bien sèches.

Vite, à la flamme de la chandelle, je fis rougir mon petit charbon sur un côté et déposai celui-ci sur la soucoupe. Je sais qu'alors ce combustible magique doit rougir peu à peu entièrement sans que personne n'y touche, sans qu'on souffle dessus. Le jour commença à décliner, je me promis de retourner à la cabane au crépuscule. Mais quand je revins, une surprise m'attendait. Je pensai trouver mon petit charbon presque entièrement transformé en cendres. Mais non ! Il était intact et tout entier incandescent. Comme le buisson de Moïse, « il brûlait et ne se consumait pas ». Je revins le voir tous les soirs à la tombée de la nuit. Sa lumière faisait prendre à la cabane des lueurs de coucher de soleil. A le contempler, je sentais s'allumer en moi une chaleur intérieure qui s'irradiait jusqu'à la périphérie de mon être.
Le temps a passé... Des années...des dizaines d'années...Je ne sais pas ce qu'est devenu mon petit charbon. Et je me demande même parfois si je n'ai pas rêvé, imaginé toute cette histoire.

Mais voyons, soyons sérieux. Je ne vais pas recommencer à douter...

                             .    .    .

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Fin de la nouvelle de André E.  :  Fidèle





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